Le scénario de l’Ademe sur l’électricité renouvelable : « des hypothèses pessimistes ».

Voici, un peu tardivement, un décryptage qui revient sur la publication fin 2015 du scénario « 100 % renouvelable » de l’Ademe. Ce scénario comportait-il réellement un biais pro-renouvelable, comme nous n’avons cessé de l’entendre ? Pas vraiment, à en croire les explications qui nous sont livrées ici (et même bien au contraire semblerait-il).

Le rapport de l’Ademe dit « mix électrique 100 % renouvelable» n’a pas manqué de susciter des réactions passionnées. En particulier, les critiques « d’experts» ont fusé pour fustiger l’excessive bienveillance de l’Ademe à l’égard des renouvelables, et contester avec virulence les conclusions du rapport. Mais ce rapport méritait-il vraiment une telle levée de boucliers de la part des partisans du nucléaire ?

Quelles sont précisément les conclusions de l’Ademe ?

Dans son rapport, réalisé en collaboration avec le cabinet d’étude Artélys, l’Ademe analyse différents mix électriques envisageables pour la France à l’horizon 2050, et calcule les coûts qui en résultent. Quatre taux d’électricité renouvelable ont notamment été étudiés (40 %, 80 %, 95 % et 100 %). Tous donnent tous un coût de l’électricité sensiblement équivalent (respectivement 117 €/MWh, 113 €/MWh, 116 €/MWh et 119 €/MWh). L’Ademe affirme ainsi qu’en 2050 une production électrique à très forte majorité renouvelable ne reviendra pas plus cher qu’une production reposant majoritairement sur des technologies plus traditionnelles.

Des critiques peu inspirées.

Parmi les critiques adressées au travail de l’Ademe, ce texte du journaliste scientifique S. Huet (Libération) constitue sans doute la contribution la plus complète et la plus plébiscitée par la tribu des pro-nucléaires. En substance, S. Huet assène que les résultats de l’Ademe sont erronés et que dépasser 40 % de renouvelable dans la production électrique sera, sinon impossible, du moins très onéreux. Revenons sur les principaux arguments censés démontrer les biais pro-renouvelable de l’étude de l’Ademe.

1. S’agissant des anticipations de l’Ademe sur les coûts de production « bruts«  de l’électricité renouvelable, S.Huet écrit : « Des anticipations de coût optimistesL’analyse des coûts réalisée par le rapport repose sur des anticipations de prix pour les différents composants (éoliennes, panneaux solaires, batteries, systèmes de stockage à air comprimé…). […] Des ingénieurs se sont déjà livrés à la critique de ces anticipations, les taxant d’irréalistes».

Pourquoi c’est (archi) faux.

S. Huet s’abstient d’entrer dans les détails de ces anticipations de coût. On le comprend car objectivement elles n’ont rien d’optimiste, bien au contraire.

Examinons donc une à une les principales hypothèses de coût de production retenues par l’Ademe, pour les technologies les plus utilisées dans les différents scénarios. Rappelons qu’il s’agit d’estimations à l’horizon 2050, qui n’incluent pas les « externalités réseaux» (c’est-à-dire les surcoûts supportés par le système électrique pour l’accueil de la production renouvelable : stockage, surplus de production non exploitables, etc) car celles-ci sont calculées séparément par l’Ademe.

a. Solaire au sol : 60 €/MWh.

Pourquoi c’est (incroyablement) pessimiste : au vu des derniers appels d’offres, le coût de production est déjà à 70 € / MWh en France pour les centrales photovoltaïques les mieux situées ; le coût des grandes installations photovoltaïques a globalement chuté de moitié sur les cinq dernières années [p.75], il a donc toutes les chances de se stabiliser très significativement en dessous de la barre des 60 €/MWh à l’horizon 2050.

b. Solaire en toiture : 85 € / MWh.

Pourquoi c’est relativement pessimiste : cette estimation de coût paraîtrait assez crédible dès lors qu’il s’agirait de petites toitures (pour ceux qui en doutent, nos voisins Allemands se rapprochent actuellement des 100 € / MWh en petite toiture [p.11], alors même qu’ils disposent d’un niveau d’ensoleillement moindre ; a contrario la France est largement empêtrée dans des politiques défaillantes qui plombent le coût du MWh : intégration au bâti trop exigeante, gestion du réactif moyen-âgeuse, manque d’accompagnement des PME, etc) ; mais on peut légitimement s’attendre à ce que les grandes surfaces de toitures soient utilisées en priorité ; or, pour de telles surfaces, les coûts tendent presque à se rapprocher de ceux des centrales au sol.

c. Éolien terrestre : 65 €/MWh.

Pourquoi c’est pessimiste : avec un tarif d’achat actuellement à 82 € / MWh sur les dix premières années, puis décroissant, les producteurs éoliens se disputent âprement les territoires disponibles, et les profits restent élevés tout le long de la chaîne, signes que les coûts de production sont en réalité (très ?) inférieurs au tarif d’achat – malgré ce qu’en disent les producteurs qui ont intérêt à exagérer leurs coûts pour conserver des tarifs élevés ; indice supplémentaire : même s’il faut être prudent avec les comparaisons internationales, certains parcs éoliens s’apprêtent désormais à produire sous la barre des 30 $ / MWh sans subvention (au Maroc en l’occurence); par ailleurs des baisses de coût de production sont encore attendues dans les prochaines décennies, même si elles seront vraisemblablement moins significatives que pour le photovoltaïque.

d. Nucléaire : 80 € / MWh (externalités environnementales et sanitaires implicitement incluses).

Pourquoi c’est optimiste.

En France, le coût de la production nucléaire historique est généralement estimé autour de 50 – 60 € / MWh, sous l’hypothèse assez téméraire que les coûts du risque d’accident, du démantèlement et de la gestion des déchets sont très faibles. Sous cette même hypothèse, la cour des comptes vient d’estimer dans la fourchette 62,6 – 70 € le coût futur du MWh nucléaire « rénové», issu de centrales dont on aurait prolongé la vie au-delà des 40 ans initialement prévus ; néanmoins si l’on se fie à la lourde tendance à la sous-estimation des coûts qui caractérise la filière nucléaire, cette fourchette a des chances d’être en-dessous de la réalité.

Un certain nombre d’éléments, dont le durcissement des contraintes de sûreté, a fait s’envoler le coût du nucléaire français « nouveau». Alors que l’EPR de Flamanville ne produira pas en-dessous de 150 € / MWh, même le futur projet d’EPR à Hinkley Point, qui ne peut plus être qualifié de tête de série, pourrait ne pas être rentable. Hinkley Point bénéficiera pourtant d’un généreux tarif d’achat garanti à 92,5 £ / MWh (environ 115 € / MWh) pendant 35 ans, auquel s’ajoute notamment la prise en charge implicite par l’état britannique des conséquences d’un éventuel accident majeur. Malgré cela, une bonne partie des cadres et des syndicats d’EDF se sont déclarés opposés au projet pour les risques qu’il ferait peser à l’entreprise, jusqu’à l’ancien directeur financier qui vient de démissionner pour marquer son scepticisme.

Dans un contexte de renchérissement continu de l’électricité nucléaire, à mesure que se durcissent les normes de sûreté et que les subventions cachées tendent à s’amoindrir, l’hypothèse d’un MWh nucléaire à 80 € en 2050 est pour le moins optimiste.

e. Gaz : 120 € / MWh pour 4000 h de fonctionnement pleine puissance (externalités environnementales incluses).

Pourquoi c’est légèrement optimiste : cette estimation est crédible, à condition que le prix du carbone ne s’envole pas d’ici 2050 très au delà des 100 €/tCO2 retenus par l’Ademe, ce qu’on ne peut s’interdire d’envisager.

Ainsi, l’affirmation selon laquelle les hypothèses de coûts de production seraient trop favorables aux énergies renouvelables ne tient pas une seconde. Bien au contraire, ces hypothèses apparaissent excessivement biaisées en défaveur du photovoltaïque et de l’éolien, et en faveur du nucléaire.

Ce biais se ressent fortement dans les résultats finaux calculés par l’Ademe, les coûts de production étant des hypothèses centrales de la simulation. Il est amusant de noter que l’Ademe a bien étudié une variante avec des coûts plus optimistes, mais que dans cette variante seuls les coûts des technologies les moins présentes dans le mix électrique (énergies de la mer notamment) sont revues à la baisse.

On retrouve là un travers bien connu de quantité de rapports sur les énergies renouvelables. Plutôt que de s’appuyer sur des données fiables, par exemple sur des résultats d’appels d’offres et autres éléments concrets qui permettent d’approcher les coûts réels, tel rapport tire ses estimations de tels autres, eux mêmes interdépendants et basés sur telles données peu fiables ou obsolètes et telles estimations au doigt mouillé.

2a. Sur le stockage, S. Huet écrit : « On y voit en particulier l’ampleur des pertes dues au stockage/déstockage – 10% de la consommation finale – malgré une vue très optimiste du sujet puisqu’elle suppose par exemple que les rendements [du stockage intersaisonnier retenu par l’Ademe] seront considérablement améliorés par rapport aux technologies actuelles».

Pourquoi c’est exagéré.

Pour réaliser son étude, l’Ademe n’a modélisé que trois technologies de stockage par souci de simplicité :

  • un stockage « de court-terme» incapable de stocker l’énergie sur de longues périodes, mais relativement peu cher et efficace (avec un rendement de 81 % et un coût à 58 € par MWh stocké-déstocké) ;
  • un stockage hydraulique (STEP), technologie éprouvée de longue date, susceptible d’équiper de nombreux barrages français (c’est déjà le cas pour certains d’entre eux), relativement peu chère et efficace (avec un rendement de 81 % et un coût à 46 € / MWh pour les 7 premiers GW), mais plafonné en puissance et en capacité ;
  • un stockage intersaisonnier « gazeux», au rendement très faible, et dont la faisabilité à grande échelle reste encore plus ou moins à démontrer ; on peut à la limite entendre que l’Ademe ait été – raisonnablement – optimiste sur les avancées de cette technologie spécifique de stockage gazeux, supposée mature en 2050 (avec un rendement de 33 % et un coût à 138 € / MWh).

Malheureusement, en ne retenant que trois types de stockage à l’horizon 2050, l’Ademe ne fait pas justice aux importants efforts de R&D actuellement déployés. Elle aurait été inspirée de retenir quelques technologies supplémentaires qui se seraient partiellement substituées au stockage gazeux et à son rendement catastrophique. A titre d’exemple, des projections raisonnablement optimistes prévoient que les meilleurs stockages chimiques atteindront d’ici une vingtaine d’année des coûts inférieurs à 100 € / MWh stocké-déstocké en utilisation standard (contre environ 250 € / MWh actuellement) pour un rendement supérieur à 90 % (y compris à long terme) ; de tels stockages auront vraisemblablement une place dans le système électrique de demain, même s’ils pêchent généralement par leur capacité limitée ou onéreuse [attention à la confusion possible entre, d’une part, coût au MWh stocké-déstocké et, d’autre part, coût de la capacité de stockage, tous les deux en € / MWh].

Par ailleurs, l’Ademe explique ne pas avoir pris en compte les capacités d’effacement industriel, alors qu’en toute vraisemblance ces capacités seront amenées à jouer un rôle significatif à l’avenir, en remplacement de certaines catégories de stockage particulièrement peu efficaces.

En ne retenant qu’une unique technologie de stockage intersaisonnier au rendement assez désastreux, et en faisant l’impasse sur l’alternative que représentent les effacements industriels, l’Ademe ne fait en aucun cas preuve d’optimisme dans sa modélisation du stockage.

2b. S’agissant du foisonnement à l’échelle européenne, S. Huet écrit : « Le « foisonnement» européen évoqué par l’étude de l’Ademe, censé régler le problème, existe déjà, montre le graphique ci-contre [figure 3] qui révèle la production éolienne cumulée de six pays […] pour l’année 2012. Or, elle peut tomber à moins de 5 GW. En ce cas, d’où viendrait les 16 GW d’importation espérés par l’Ademe».

Pourquoi c’est trompeur.

En 2012, la production éolienne cumulée des six pays en question tombe en effet à plusieurs reprises sous les 5 GW (jamais très longtemps), pour une puissance installée de 70 GW environ.

Les défenseurs du nucléaire ont pris l’habitude de comparer la puissance garantie à la puissance installée. Or il se trouve que ce ratio “puissance garantie” / “puissance installée&lrquo; n’a objectivement pas la moindre pertinence. Les ratios “puissance garantie” / “coût annualisé de la capacité installée” ou “puissance garantie” / “puissance moyenne” sont bien davantage valables pour comparer des technologies entre elles ; de tels ratios ne sont néanmoins jamais utilisés, sans doute parce qu’ils sont de fait moins favorables au nucléaire. Pour en revenir au graphique cité par S. Huet, un peu moins de 5 GW de puissance garantie pour une production éolienne moyenne d’environ 15 GW, cela n’est clairement pas si catastrophique que cela.

Par ailleurs, on peut s’attendre à ce que le foisonnement européen soit, en 2050, bien plus significatif que ne l’illustre le graphique mentionné par S. Huet, qui souffre de ne représenter que six pays et qu’une unique technologie (l’éolien terrestre). D’autant qu’en 2050 les éoliennes seront plus constantes qu’elles ne le sont aujourd’hui (car mieux adaptées aux faibles vents), et que les installations de production renouvelables seront bien mieux réparties entre zones géographiques qu’elles ne l’étaient en 2012.

Passons sur la comparaison malhonnête entre d’une part les 5 GW disponibles en 2012 pour le seul éolien et pour un nombre de pays restreint, et d’autre part les 16 GW attendus par l’Ademe en 2050 alors que la puissance éolienne aura décuplée en Europe, et sans qu’il ne soit question du seul éolien. D’autant que dans les simulations de l’Ademe, y compris pendant les vagues de froid, le solde importateur de la France est la plupart du temps très inférieur à 16 GW qui ne constitue qu’un maximum théorique jamais atteint.

2c. S. Huet écrit : « La pointe testée révèle la faille du système. […] La période froide simulée, celle de février 2012, est beaucoup trop douce pour tester la résilience du système électrique. […] Avec une vague de froid à peine supérieure à celle de 2012, alors que les effets thermiques sur les bâtiments se font sentir au bout de deux à trois jours, la défaillance du réseau électrique devient inéluctable, plongeant le pays dans le noir et stoppant toutes les machines électriques».

Pourquoi c’est largement faux.

Un des principaux reproches adressés à l’Ademe est sa vision trop optimiste des épisodes les plus critiques (en termes de consommations élevées et d’absence de vent et de soleil).

Il est possible que les systèmes électriques imaginés par l’Ademe ne soient pas tout à fait assez robustes pour surmonter aisément un concours de circonstances particulièrement défavorables, susceptible de survenir tous les 20 ou 30 ans.

Mais il faut être exagérément pessimiste pour croire que ce type d’épisodes rarissimes ne donnera pas lieu à un effort supplémentaire de la part des consommateurs, industriels comme domestiques, à la faveur de mécanismes avancés de flexibilité de la demande (mécanismes dont on commence déjà aujourd’hui à poser les bases, malgré de nombreux couacs dont celui de l’effacement diffus qui n’en a pas fini de nous faire tomber de nos chaises). Qui peut sérieusement penser que nous ne sommes pas prêts à consentir à un petit effort tous les 20 ans.

Par ailleurs, contrairement à ce qu’affirme S. Huet, de tels épisodes d’insuffisance de production ne conduiraient en aucun cas à un black-out, mais plutôt à des réductions maîtrisées de puissance permises par les nouveaux outils de flexibilité (le nouveau compteur Linky en est théoriquement capable par exemple), voire dans le pire des cas à des délestages tournants, ou par paliers comme cela est arrivé en 2006 à la suite d’un hallucinant cumul d’erreurs des gestionnaires de réseaux allemands (sans que les productions renouvelables n’en portent la moindre responsabilité comme cela a trop souvent été affirmé).

 3. S. Huet écrit : « La gestion fine du réseau n’est pas étudiée« .

S’ensuit des explications de messieurs Huet et Bena (directeur smart grid chez RTE), parfois très approximatives, censées démontrer à quel point cette omission est problématique pour la crédibilité du travail de l’Ademe.

Pourquoi cela reste à relativiser.

Incontestablement, le modèle utilisé par l’Ademe n’était pas suffisamment sophistiqué pour permettre une analyse fine du système électrique, et l’étude fait effectivement l’impasse sur un certain nombre de sources de surcoûts liées à l’essor des renouvelables. L’Ademe ne s’en est pas cachée, et a annoncé préparer un second rapport pour pallier cette insuffisance.

Ces omissions de l’Ademe sont-elles aussi gênantes que messieurs Huet et Bena semblent le penser ? À vrai dire, pas tout à fait.

Car en y regardant de plus près, les sources de surcoût potentielles qui auraient échappées à la modélisation de l’Ademe paraissent trop peu significatives pour affecter vraiment les résultats de l’étude, sauf peut-être à une exception près, s’agissant du problème soulevé par la diminution de l’inertie du système électrique (voir en toute fin d’article).

A titre d’exemple, outre l’omission de la question de l’inertie par l’Ademe, S. Huet regrette également l’absence de prise en compte des besoins de réglage de tension. Cette critique tombe néanmoins largement à plat : pour faire court, les capacités de réglage de tension des centrales photovoltaïques et éoliennes, et accessoirement leur résilience aux variations de tension, sont assez supérieures à celles des centrales traditionnelles ; il est donc relativement improbable que l’essor des renouvelables entraîne des surcoûts liés au réglage de tension (même si de faibles surcoûts ne sauraient être entièrement exclus, du fait que le caractère souvent « dispersé» des renouvelables ne facilite pas le réglage de la tension du réseau de transport). Le fait est que ceux qui prédisent une augmentation significative des coût de réglage de tension le font généralement sur la base d’une mauvaise compréhension du fonctionnement des réseaux de distribution, ce qui les conduit à décompter une seconde fois des coûts déjà comptabilisés par ailleurs.

D’autres ont également pu arguer que l’essor des renouvelables ferait immanquablement exploser le coût du réglage de fréquence, qui permet de garantir l’équilibre entre production et consommation sur une échelle de temps qui va grosso modo de quelques secondes à quelques dizaines de minutes. Cette crainte nécessite d’être largement nuancée, car si l’on ne peut sérieusement exclure une augmentation des coûts de réglage de fréquence liée à l’arrivée massive d’éolien et de solaire, de nombreux éléments conduisent à penser que cette augmentation restera très limitée (en valeur absolue). Y compris le fait que ces coûts sont aujourd’hui assez faibles. Y compris le fait que le réglage de fréquence sera de plus en plus assuré à l’avenir par les consommateurs industriels, qui sont souvent plus efficaces que les installations de production – quelles qu’elles soient – pour fournir ce service. Y compris le fait que la production renouvelable et le stockage ont parfaitement la capacité de contribuer au réglage de fréquence.

4. S. Huet écrit : « Le rapport précise en outre que les transformations du réseau nécessaires à un mix électrique 100% renouvelable n’ont pas été étudiées».

Pourquoi c’est faux.

S. Huet n’a visiblement pas lu très attentivement le rapport en question. Ne serait-ce que dans la synthèse, on trouve l’explication suivante : « sur chaque région, les capacités des filières sont optimisées, ainsi que les capacités d’échange inter-régionales, ce qui permet d’estimer le besoin d’évolution du réseau».

De fait, l’Ademe a bien pris en compte des coûts de réseaux dans ses scénarios : le coût annuel des réseaux du scénario « 100 % renouvelable» est ainsi supérieur de 800 millions d’euros à celui du scénario « 40 % renouvelable ». L’Ademe a même étudié un scénario alternatif spécifique dit « renforcement réseau plus difficile » qui conduit notamment à renchérir le coût annuel des réseaux de 1,8 milliards d’euros supplémentaires et à augmenter significativement les besoins de stockage.

L’Ademe indique ne pas avoir intégré les besoins d’évolution des réseaux infra-régionaux, mais en réalité ces besoins d’évolution sont à peu près intégralement couverts par les coûts dit « de raccordement», payés par les producteurs et intégrés dans les coûts de production des filières renouvelables.

Il est à peu près certain que l’essor des renouvelables nécessitera un renforcement des réseaux. Mais en première analyse les hypothèses retenues par l’Ademe ne paraissent pas avoir conduit à sous-estimer ce besoin.

5. Sur la non-prise en compte par l’Ademe des difficultés posées par la transition d’un système électrique vers un autre, S. Huet écrit : « Un préambule auto-contradictoire[…] La fin du paragraphe [du préambule du rapport de l’Ademe] précise bien que ces mix électriques sont «théoriques», et «construits ex-nihilo». Un tel exercice est stimulant pour la réflexion, mais asséner des calculs de prix de production de l’électricité, au centime près du kWh, au terme d’une construction de pure théorie dont il est précisé qu’elle ne comporte pas de «scénario pour arriver au résultat» ne peut que nuire à la perception de la portée et des limites de l’exercice» etc, etc.

Pourquoi c’est très exagéré.

Par souci de simplicité, l’Ademe a fait le choix de ne pas étudier la transition d’un système électrique vers un autre, et donc d’ignorer les coûts qui y sont associés. On peut le regretter mais est-ce pour autant légitime de laisser entendre que cela discrédite le rapport dans son entier ? Rappelons que l’Ademe se place à l’horizon 2050 : la transition vers davantage de solaire et d’éolien ayant commencé au début des années 2000 à l’échelle européenne, il s’agit donc d’examiner une transition sur 50 ans. Un tel horizon laisse a priori suffisamment de temps aux autorités techniques pour anticiper les problèmes éventuels, et pour organiser le remplacement progressif d’un mix électrique par un autre à mesure que les centrales et le matériel arrivent en fin de vie. Le coût de transition peut donc légitimement être estimé à un niveau très faible au regard du chiffre d’affaire du secteur électrique (sauf à présupposer que les-dites autorités techniques sont parfaitement incompétentes).

Conclusion.

L’étude de l’Ademe s’est vu opposer quantité d’arguments approximatifs, et exagérés, visant à discréditer ses résultats jugés trop favorables aux renouvelables. Pour autant, le seul biais véritablement significatif se trouve contenu dans les hypothèses de coûts de production, qui s’avèrent exagérément pessimistes en défaveur du solaire et de l’éolien (et optimistes en faveur du nucléaire).

Le corollaire, c’est que d’ici quelques petites dizaines d’années, les mix électriques reposant très majoritairement sur les renouvelables seront sans nul doute ultra-compétitifs. En réalité, de nombreux éléments laissent même penser qu’ils le seraient déjà aujourd’hui, sous telle et telle condition.


[Pour aller plus loin] L’inertie des systèmes électriques affaiblie par la transition énergétique : un problème sérieux mais largement surmontable.

De manière succincte, voici les contours du problème en question (qu’il ne faut pas confondre avec le problème de l’intermittence dont il est parfaitement distinct) : afin d’assurer l’équilibre entre consommation et production de manière parfaitement continue, il est indispensable de disposer d’un important stock d’énergie capable de réagir instantanément ; aujourd’hui, un tel stock d’énergie existe naturellement au sein des centrales de productions traditionnelles, sous la forme d’énergie cinétique contenue dans les turbines en rotation ; par la magie de la physique et des champs électro-magnétiques, cette énergie cinétique se transforme naturellement et instantanément en électricité (ou vice-versa) dès lors que le besoin s’en fait ressentir ; malheureusement, en plus d’être des productions « intermittentes», les éoliennes (malgré leurs turbines) et les installations photovoltaïque, de même que certaines installations de stockage, présentent la caractéristique malencontreuse de ne pas contribuer à ce stock d’énergie pourtant indispensable ; à mesure que le taux (instantané) d’éolien et de photovoltaïque augmente au détriment de celui des centrales traditionnelles, la taille du-dit stock d’énergie cinétique diminue (on dit usuellement que l’inertie du système diminue), ce qui a pour conséquence ultime de fragiliser le système électrique en accélérant les variations de fréquence.

Interrogé par S.Huet, M. Bena (directeur smart grid chez RTE) va jusqu’à affirmer que, du seul fait de ce problème de diminution d’inertie, « si nous pouvons espérer gérer à un coût raisonnable l’introduction de 30% d’éolien et de solaire dans le système, au delà de 40% c’est l’inconnu en technologies et en coûts» (sans qu’il ne soit précisé s’il s’agit de taux moyens ou de taux instantanés).

Ce propos de M. Bena témoigne néanmoins d’une profonde méconnaissance du sujet, car de nombreuses mesures sont en fait envisageables pour compenser les baisses d’inertie liées à l’essor des renouvelables. Il existe déjà des solutions dont on a la certitude qu’elles fonctionneront, et qui sont d’ors-et-déjà sérieusement envisagées par des pays comme l’Irlande ou le Royaume-Uni, bien qu’elles soient potentiellement assez onéreuses. Par exemple, il serait imaginable d’installer massivement des compensateurs synchrones pour accroître l’inertie du système (les compensateurs synchrones étant des turbines que l’ont fait tourner à l’électricité), tout en faisant participer le photovoltaïque, l’éolien et certaines installations de stockage à un équilibrage de très court terme (à l’échelle de la seconde ou moins) qui compensera en partie la diminution d’inertie, grâce à l’excellente réactivité de ces technologies (au sens où, contrairement à ce que l’on entend parfois, elles réagissent très rapidement aux ordres qui leur sont donnés, bien plus rapidement que ne le font les centrales traditionnelles).

Malheureusement, et de manière il faut bien le dire assez incompréhensible, nous sommes actuellement en train de rater la fenêtre de tir pour mettre en place d’autres mesures alternatives beaucoup plus efficaces, qui impliquent de modifier marginalement les normes applicables aux installations de production nouvellement construite ou sortant de maintenance lourde – surtout s’agissant des installations hydrauliques et thermiques. Peut-être que si les gestionnaires de réseaux de transport européens se mettaient sérieusement au travail sur le sujet, plutôt que de se contenter de pousser des cris d’orfraie, cela nous éviterait un certain nombre de dépenses inutiles à l’avenir.